¤ ¤ ¤ Dame Gordula ¤ ¤ ¤
"Cré nom de nom
! C'est que ça a marché ses infusions de mauvaises herbes à Roberte !"
Aujourd'hui, Sire Gordula se levait du bon pied. Sa
force d'antan...
"Dame, pas Sire, tu vieillis
narrateur."
Sa force d'antan semblait revenue, sans doute grâce aux
plantes magiques de Dame Roberte. Gordula se leva d'un coup, envolée les
douleurs aux hanches, les jambes lourdes, les articulations des doigts
gelées au réveil... Pour tester sa jeunesse retrouvée, il attrapa le
rebord du lit et, prenant une grande inspiration, le souleva. Sans le
moindre effort !
"Elle, pas il..."
Soulevant le lit, elle avait ramené à la lumière du
jours des trésors, abandonnés depuis bien longtemps dans les moutons de
poussières datant de l'ouverture de l'auberge il y a des années de ça :
beaucoup de chaussettes solitaires, une chausse même, une petite bourse
de cuir vide, un bout de parchemin taché de sang avec écrit des choses
dans une autre langue, et un petit miroir...
"PAR FIMIIIIIINE !!!!!"
La voix grave de Sire Gordula fit trembler les murs de
l'auberge et résonnait encore jusqu'aux marais d'IssCaNak alors qu'il
était déjà habillée de sa vieille robe et traversait à grands pas la
taverne.
¤ ¤ ¤ Stanislas ¤ ¤ ¤
"Pfffff..."
Loin des exploits de Sire Gordula sur le lit de sa chambre d'auberge,
Stanislas errait nonchalamment dans les ruelles de Melrath Zorac. Lui
seul semblait ne pas avoir été frappé par le changement de sexe.
"Que... Quoi ? Bien sur que si ! Hier matin au réveil j'étais un homme."
... Lui aussi semblait avoir été frappé de plein fouet
par le changement de sexe. Alors qu'il râlait à la fois sur son nouveau
corps et sur la qualité déplorable du narrateur que Sire Gordula lui
avait prêté, il stoppa sa marche, effrayé par un cri rauque qui
provenait de la taverne en face de laquelle il passait à ce moment là.
Il ne le savait pas, mais il était sur le point de revoir Sire Gordula,
qu'il n'avait pas revu depuis l'époque où il était un poney magique qui
vole et qui parle et où Sire Gordula n'était autre que Dame Gordula.
"Gordula ? Par pitié, non, pas elle..."
Observant la taverne d'un regard suspicieux, il tentait d'entrapercevoir
celle qui l'avait torturé dans sa jeunesse, ne se doutant guère que
Sire Gordula s'approchait à grands pas de la porte de la taverne.
"Non ! Une
cachette, vite !"
Mais il était trop tard pour la guerrière. La poignée
tourna autour de l'axe Ox, suivie de la porte qui elle effectua une
rotation autour de l'axe Oy.
"PAR
FIMIIIIIINE !!!!!"
Ils étaient face à face. Sire Gordula reconnaitrait-il son ancien poney,
malgré ses nombreuses métamorphoses ?
¤ ¤ ¤ Dame Gordula ¤ ¤ ¤
Face à la charmante demoiselle
nageant dans une armure trop grande pour elle, Sire Gordula se sentit
soudain stupide dans sa vieille robe déchirée. Mais il ne rata pas la
solution qui venait d'arriver en même temps que le problème... Et
attrapa la jeune femme dans ses bras virils pour l'entraîner dans la
ruelle derrière l'auberge. Elle n'avait pas eu le temps de réagir que
Sire Gordula l'avait déjà reposée, et se tatait les bras, tout content
de son nouveau corps et la force dont il pouvait à nouveau disposer.
Tout en continuant de se toucher, il s'adressa à la fille, sans la
regarder.
"Déshabille-toi."
Etait-il utile de donner des explications ? Il était
habillé en femme, elle était habillée en homme, il n'y avait pas
d'explications à donner... Bien sûr que oui c'était nécessaire !!! Mais
Grosdulard est trop STUPIDE pour y penser. Pour lui, que les gens
évitaient comme ils évitent les mendiants galeux tant qu'il était encore
une vieille femme pustuleuse, la communication était quelque chose de
très superflu. Le désir qui s'affichait au travers de sa robe ne le
perturbait pas plus que ça, il avait depuis longtemps oublié ce que
pouvait ressentir une faible femme traînée dans une ruelle sombre par un
grand guerrier inconnu.
¤ ¤ ¤ Stanislas ¤ ¤ ¤
"Elle m'a
reconnu ? Ça y est, l'enfer va recommencer..."
Stanislas n'eut le temps de faire autre chose que de
murmurer ses quelques mots qu'il était déjà dans une ruelle sombre à
l'arrière de la taverne, de nouveau seul avec son ancien tortionnaire,
Sire Gordula. Par le passé, le poney aurait aisément pu s'échapper des
doigts crochus et velus de Dame Gordula, mais aujourd'hui Sire Gordula
avait incontestablement le dessus, au sens figuré de la chose.
"Enlever mes
vêtements ? Tu as peut-être retrouvé une seconde jeunesse Gordu, mais
pour ce qui est de la connexion des neurones, il faudra repasser... Je
ne vais surement pas me déshabiller devant toi. Je ne suis plus un
poney, les vêtements sont d'usage désormais."
Stanislas recula d'un pas, tentant de marquer la
distance, mais le bras de Sire Gordula l'agrippa par la taille et mit
fin à cette vaine tentative.
¤ ¤ ¤ Dame Gordula ¤ ¤ ¤
C'est qu'elle essaye de s'enfuir la
donzelle en plus... Gordula la retint d'un bras, la soulevant légèrement
de terre et la renifla, les sourcils froncés.
"Comment tu...? Poney ?"
Aucun doute possible. Cette odeur de terre, ce petit air
effarouché... Et surtout, elle l'avait reconnu et le disait ! C'était
Stanislas. Gordula leva la main comme pour giffler cette petite
lâcheuse, et la reposa doucement sur la tête de la jeune fille
tremblante, ses doigts glissant dans ses longs cheveux.
"Je te donnerai mes vêtements. Je
n'en ai plus besoin, et tu es ridicule dans ton armure pour homme."
Gordula avait toujours eu le dessus sur le poney par son
intelligence (croyait-il... ha... ha...), et il s'amusait d'avoir
désormais également le dessus physiquement. Pauvre petite. Il la relâcha
quand il fut certain qu'elle avait compris qu'elle ne pourrait pas
s'enfuir et la repoussa contre le mur.
"Allez, j'attend."
¤ ¤ ¤ Stanislas ¤ ¤ ¤
Stanislas semblait à la fois gêné et étonné. Gêné que
Sire Gordula lui fasse cette requête - certes légitime - et étonné que
son interlocuteur ne se rende pas compte de combien était délicate cette
dernière.
"Tu penses sincèrement que je
vais porter les haillons que tu as sur toi en ce moment ? Tu es
sévèrement atteint(e) du ciboulot !"
La guerrière semblait persévérer dans le refus, malgré
sa carrure maigrelette.
"Par le
passé tu m'as harcelé moralement, et ce n'est pas parce qu'aujourd'hui
tu es en position de pouvoir en faire de même physiquement que je vais
redevenir ton assistant... serviteur... esclave... enfin... ta chose..."
¤ ¤ ¤ Dame Gordula ¤ ¤ ¤
Le guerrier se détourna soudain,
pour cacher ses yeux soudain humides du peu de sensibilité féminine
qu'il lui restait...
"Je croyais... Je ne pensais pas
que tu..."
Comment avait-il pu croire ça ? Son esprit sénile de
vieille femme lui avait caché la vérité... Ou bien les herbes magiques
peut-être... Il avait toujours cru que Stanislas était son ami. Même
s'il ne se souvenait pas toujours de son nom... Il avait toujours cru
que Stanislas lui pardonnait les tours que lui jouait sa mémoire...
Roberte et Gordula l'avait recueillie quand c'était encore un tout petit
poulain et voilà comment il était remercié ! Quelques jours sans se
voir et il se faisait renier, jeter, insulter !
"Depuis que la cigogne t'as déposé
devant ma porte Stanislas."
Dit-il d'une voix grave, toujours en lui tournant le
dos.
"Depuis ce jour -disait-je avant
que le narrateur m'interrompe- je me suis imposée la mission de
m'occuper de toi, t'éduquer, te protéger, et subvenir à tes besoins
lorsque tu en avais encore besoin."
Une larme vint s'éclater dans la poussière.
"Et quand tu as grandi -et moi
vieilli- je t'ai toujours considéré comme mon meilleur ami -après Fimine
et Roberte-. Tu me fais beaucoup de mal en me parlant comme ça."
Chaque syllabe tombait comme une enclume entre Stanislas
et Gordula, résonnant sourdement dans leurs deux cœurs.
¤ ¤ ¤ Stanislas ¤ ¤ ¤
Stanislas était bouche bée. Que pouvait-il répondre à
cela ? Sire Gordula tentait-il de la séduire pour reprendre
progressivement son emprise sur elle ? Était-ce sincère ? Après tout,
Stanislas n'avait aucun souvenir de sa vie de poney avant d'avoir été
"recueilli" par Dames Gordula et Roberte. N'était-il pas trop sévère
avec celle qui l'avait emmené partout avec elle, malgré un comportement
plus que douteux ?
"Je... Tu... Ne change pas de sujet ! Jamais je ne porterai ces haillons
! Ils doivent avoir ton odeur en plus, ce n'est même pas la peine d'y
penser..."
Se redressant brusquement du mur sur lequel elle était adossée,
Stanislas fit mine de s'en aller.
"Si tu vas
prendre des vêtements à ma taille... à ma nouvelle taille, pourquoi
pas... Mais attendant, je m'en vais."
Le cœur de Stanislas battait la chamade. Était-ce la
peur d'être malmené à temps plein comme par le passé par Sire Gordula ou
l'émotion causée par l'éventualité d'avoir enfin une nouvelle tenue à
sa taille, et ce gratuitement ? A moins que ce ne soit la déclaration de
Sire Gordula qui le tourmentait encore.....
¤ ¤ ¤ Dame Gordula ¤ ¤ ¤
Gordula releva la tête lorsque la
jeune femme prononça le mot "si". Etait-ce de la joie que l'on pouvait
lire sur son visage ? Plus aucune trace de tristesse, ses yeux
pétillaient et il se mit même à sautiller sur place en applaudissant.
Bien sûr il avait l'air ridicule, mais comment ne pas s'attendrir devant
cet amas de muscle exité comme un petit garçon à qui on a promis une
sucette ?... Hum... Je m'égare.
"Tu as raison, nous devons nous
mettre tout de suite en route pour chasser des vêtements ensemble, hein
ma p'tite Stanislas ?"
Il l'attrapa par le bras -sans ménagement- et la serra
contre lui. De son autre main, il fouilla sous sa jupe quelques
instants, afin de sortir une lourde bourse, qu'il agita devant le nez de
la demoiselle.
"Je comptait payer un peintre pour
faire personnaliser ma massue, pour honorer Fimine et impressionner
l'ennemi, parce que ça fait personne très importante d'avoir une massue
personnalisée. Mais tant pis, ça attendra. Je t'emmène chez le
couturier, pour faire retoucher ma robe, qu'elle soit à ta taille."
Et le voilà parti, sifflotant et traînant par le bras
Stanislas comme deux bonne copines...
¤ ¤ ¤ Stanislas ¤ ¤ ¤
Sous l'étreinte à l'odeur de formol de Sire Gordula,
Stanislas se laissait trainer non sans appréhension vers la boutique du
couturier.
"Je
préfèrerais quand même une armure, plutôt qu'un haillon raccommodé que
tu as porté pendant plusieurs siècles..."
Ignorant la remarque de Stanirlas, Sire Gordula pressa
le pas. Stanislas, habitué à devoir accélérer la cadence depuis sa
période naine put sans trop de difficulté rester au rythme de son
compatriote, occupant même son esprit à imaginer ce qu'entendait Sire
Gordula par "personnaliser sa massue"...
"Elle
ressemble à quoi ta massue ? Tu entends quoi par "personnaliser" ?"