Chut Melou ! [Part 1]

La petite fille semble épuisée quand elle entre dans sa chambre. Elle s'affale sur son lit et ferme les yeux quelques minutes. Quand elle les rouvre, elle a une idée en tête. Elle se relève et regarde hors de sa chambre : il y a personne dans le couloir. Elle ferme discrêtement sa porte à clef et se dirige vers une bibliothèque de livres d'enfants. Elle n'en prend aucun, elle s'accroupit et glisse sa main sous le meuble.
Elle chuchote...

"Libère-toi de ce sort que je t'ai jeté, Défait-toi du meuble auquel je t'ai attaché."

Elle ne le voyait pas mais savait ce qu'il se passait : sous le meuble, le bois commença à onduler tout doucement avec de petits craquement, puis de plus en plus vite, dégageant beaucoup de chaleur que la gamine sentait souffler sur sa main. Au bout de quelques minutes, on aurait dit que le bois de la bibliothèque était devenu liquide... Melwen plongea soudain sa main dedans et en sorti un petit livre. La bibliothèque repris son apparence normale.

"Merci Kumasan..."

Calmement elle retourna sur son lit en le serrant contre elle.
Une envie de se replonger dans le passé pour mieux comprendre le présent. Bientôt 11 ans, il était temps de relire ce qu'elle avait écrit dans son journal.

... Moi je pleurais et je ne voulais rien dire... Il m'a dit alors que si je devais garder le secret, que je l'écrive au moins pour sortir ces horreurs de ma tête, pour que mes larmes arrêtent de couler.
Il m'a donné ce cahier, et appris la formule pour le cacher. Je sais qu'il le répètera pas. C'est pas un rapporteur lui.

Pourquoi je pleure ?
Pour tellement plein de choses que je vais devoir tout mettre dans l'ordre. Commencer par le commencement et même dire mes souvenirs inutiles ! De toute façon, personne ne sait où je le cache...

Je ne comprend toujours pas bien du tout début, celui qui m'a conduit à habiter chez mon grand-père, malgré les explications, et mes souvenirs vagues n'aident pas. C'était il y a environ 8 ans (j'avais déjà 3 ans !), il y avait la guerre je crois, enfin, il y a toujours la guerre... On était dans un manoir en dehors de Nedmor, je me souviens que je jouais et qu'il y a eu un bruit sourd, comme le tonnerre alors qu'il faisait beau, et continu, comme si ça se rapprochait. On m'a alors fait rentrer et mes parents m'ont enfermée pour me cacher, je ne savais pas de quoi, ne comprenais pas, mais me taisais comme on m'avait dit. Ce que je raconte, c'est un peu de ce que je me souviens et un peu de ce qu'on m'a raconté, ça s'est quand même passé il y a longtemps.
Je suis restée enfermée très longtemps dans une petite pièce sous le plancher et le tapis. Il y avait beaucoup de bruit au-dessus, des pas, des cris, j'avais très peur. A chaque pas au-dessus de moi, tout tremblait et de la poussière me tombais dessus. J'imaginais que le plancher allait craquer et me recroquevillais encore plus vers le fond. Je sentais alors des toiles d'araignées sur mes jambes. J'aurais presque été heureuse d'avoir une boule coincée au fond de la gorge qui m'empêchait de crier. J'avais jamais été dans le noir avant, même pour dormir, il y avait une bougie qui s'éteignait pendant la nuit. Et là... Rien, l'odeur du renfermé, quelques toiles d'araignées me frôlant, le bruit de meubles renversés au-dessus de moi, le goût amer de la peur dans la bouche : tous mes autres sens remplaçait mes yeux qui ne servaient plus à rien. Mais malgré tout ça, j'ai dû finir par m'endormir, peut-être pour ne pas entendre tout le mal qu'il y avait dans ma maison...
J'ai été réveillée par l'odeur. J'avais chaud et de la fumée emplissait ma petite prison, j'ai commencé à tousser, j'avais reconnu l'odeur des soirées de contes au coin du feu. Je me suis soudain rendue compte que j'avais perdu un second sens : dans la pièce au-dessus de moi, dans toute la maison, le silence. C'est à ce moment là que la boule dans ma gorge est remontée pour tout faire exploser, j'ai paniqué.
Et seule dans un tout petit espace où seule une petite fille de 3ans aurait pu tenir entière, je me suis mise à crier et à taper contre la trappe au-dessus de moi. Quelque chose la bloquait. Je ne m'en souvient pas, c'est lui qui me l'a dit, parce que c'est comme ça qu'il m'a retrouvé.

Mon premier souvenir après cette nuit là, c'est de m'être réveillée dans un grand lit, dans une chambre éclairée. Et quelqu'un était assis sur mon lit. J'ai cru que c'était mon papa et que j'avais fait un cauchemar ! Même que j'avait des larmes qui me barbouillaient le visage...
C'est quand il m'a pris dans ses bras et que j'ai senti ses larmes dans mon cou que je me suis rendue compte que c'était pas mon papa, mais le jeune frère de ma mère, Sirendor Larn.

Il m'a lâchée très vite et a immédiatement repris contenance parce que quelqu'un frappait à la porte. Mon grand-père est entré...

L'odeur du repas arrivait aux narines de Melwen. Elle referma le cahier et essuya les larmes qui roulaient sur ses joues. Lentement, elle se releva pour aller le ranger sous la bibliothèque avec la petite formule pour que personne d'autre qu'elle ne le trouve. C'était la première fois qu'elle se relisait et elle venait de se rendre compte qu'elle n'avait jamais eu le courage de dire, ni d'écrire, ni même de se souvenir, que cette nuit-là, ce fut la dernière fois qu'elle vit ses parents, dont Sirendor avait poussé les cadavres pour ouvrir la trappe...

Et elle raccrocha un sourire forcé à son visage avant de descendre quatre à quatres les marches des escaliers jusqu'à la salle d'eau où elle pourrait se débarbouiller avant de passer à table.